La tragédie des communs ?
L’histoire des communs, ou plus précisément leur médiatisation, commence en 1968 avec la publication d’un article du biologiste Garett Hardin : The Tragedy of the Commons. Sous ce nom d’article apocalyptique 🙂 se cache un paradoxe. Lors d’une situation de compétition pour un accès à une ressource limitée, la stratégie économique individuelle rationnelle aboutit à un résultat perdant-perdant.
Prenons un exemple classique. Des éleveurs doivent faire paître leur troupeau dans un champ en accès libre. L’intérêt individuel de chaque éleveur est de faire paître le plus de moutons possible pour optimiser son usage… ce qui ne va pas tarder à transformer le champ en terrain de boue :-/
Les 8 principes caractéristiques des communs !
Face à ce constat, deux solutions alimentent vite le débat : nationalisation ou privatisation ? Trouvant ce débat un peu trop dichotomique, l’économiste Elinor Ostrom a documenté une troisième voie, celle des communs. On l’appelle aussi autogouvernement ou gouvernance par les usagers. Bien lui en a pris, elle a reçu le prix Nobel d’économie en 2009 pour ses travaux sur le sujet.
Dans ces travaux, Elinor Ostrom identifie 8 points clés qui favorisent la pérennité de la ressource – tout en insistant bien sur le fait qu’« il existe de nombreuses solutions face à de nombreux problèmes différents ».
- Une définition claire de l’objet de la communauté et de ses membres
- Des règles d’exploitation claires et adaptées à la ressource partagée
- Une participation des utilisateurs à la modification des règles
- Des « surveillant·es » responsables auprès de la communauté
- Des sanctions graduelles pour non-respect – sur ce point elle observe des résultats « surprenants ». Les communautés les plus pérennes sont celles où il n’y a pas d’intervention d’instance extérieure et où les sanctions initiales sont faibles.
- Un accès rapide à des instances locales de résolution de conflits
- La reconnaissance de l’auto-organisation par les autorités gouvernementales extérieures
- Et enfin, si besoin, une organisation à plusieurs niveaux
Au delà de ces 8 principes, elle identifie également deux éléments clés pour l’émergence : la réciprocité et la confiance.
3 ingrédients pour faire un commun ?
Pour simplifier, on définit généralement les communs par ces 3 points :
- une ressource,
- une communauté,
- et des règles fixées par cette communauté (une gouvernance).
Vous l’avez peut-être remarqué, nous n’avons pas retenu ces 3 ingrédients pour présenter les communs dans notre infographie. En effet, aujourd’hui, le terme de « ressources » est discuté. Bien qu’utile pour la définition, la notion de « ressources » perpétue la dualité entre humain et non-humain. Ainsi, cette séparation aboutit à considérer tout ce qui n’est pas humain comme une chose à disposition, prête à être exploitée.
Nous l’avions d’ailleurs abordé dans une précédente infographie sur l’interdépendance. En effet, imaginer un autre rapport au monde est l’une des clés pour faire évoluer notre société. L’enjeu des nouveaux récits est justement de passer d’un rapport « au-dessus du reste » à « parmi le tout ». Voilà pourquoi nous avons choisi de ne pas mettre en avant le terme de ressource.
On tient à remercier Hervé Devalfard (chercheur sur cette thématique, qui vient de publier La société du commun aux éditions de l’atelier) et Marc Lourdaux (initiateur d’Échanges Paysans dans les Hautes-Alpes). Ils nous ont aidé à penser cette infographie, notamment autour de cette question des ressources. Si vous souhaitez aller plus loin sur le sujet, on vous conseille aussi cet article : « accueillir les non-humains dans les communs« .
Les communs : un outil de transition ?
C’est bien beau tout ça mais pourquoi on vous parle de communs ici ? 🙂 C’est vrai, si tout cela semble un peu théorique, la notion nous semble importante pour plusieurs raisons :
- Comme évoqué plus haut, lorsqu’il y a gestion en « communs », il y a pérennité de la « ressource ». Et nous avons bien besoin de cette pérennité pour mieux gérer les ressources et faire face aux crises écologiques !
- Les usagers d’un commun (« commoners » dans le jargon !) ont une posture plus active. Et c’est bien ça qui change tout. On sort donc de la posture de consommateur·ice que l’on adopte (souvent) lorsque que l’on est face à une entreprise ou à un service public. Cette posture de consommation nous semble également l’une des sources de nos problèmes actuels. Nous attendons un service et critiquons sans vraiment pouvoir faire quoi que ce soit.
- Cette gestion coopérative peut sembler nouvelle mais elle a, en fait, longtemps été la norme. Retour au Moyen-âge. L’ensemble de la communauté villageoise avait accès aux champs ouverts pour l’agriculture… jusqu’au jour où les seigneurs ont mis des barrières. C’est le mouvement des enclosures, considéré comme l’acte fondateur du capitalisme aux yeux de Karl Marx ! En effet, en privant les paysans de ces terres partagées, on les a obligé, soit à grossir pour payer l’accès aux terres, soit à aller travailler à l’usine faute d’un moyen de subsistance.
Les communs de la connaissance
Depuis le début de l’article, on évoque surtout les communs du monde physique : l’eau, l’air, les champs… Pourtant, on peut tout à fait étendre cette notion aux connaissances ! La différence, comme le dit Elinor Ostrom, c’est qu’il s’agit alors d’un bien non-rival. Et ça change tout ! Si je partage un savoir, une connaissance, une expertise, une recette, … je l’ai toujours (à la différence d’un poisson par exemple :-)).
Wikipédia est un exemple de communauté de savoir ! Et les licences Creatives Commons sont un outil juridique pour protéger vos productions comme des communs et ainsi permettre et favoriser leur essaimage.
Comme on le disait (à la min 26), dans le podcast ci-dessous au micro de Julien Vidal :
« Les différents acteurs de la transition ont globalement le même pourquoi. Il y a beaucoup de comment différents (les manières de faire). Ce qui nous semble important c’est que les quoi (ce qui sort de cela) soient du commun pour que l’on puisse rebondir d’une initiative à une autre et que ça fasse effet de leviers. »
2 Remarques, conseils ou idées
Une conférence gesticulée sur les communs : https://youtu.be/eqyvQkHtEgk
Merci.